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[1692]
REDDITION DE NAMUR.

pas ce service au-dessous de moi, les gens d’armes et les chevau-légers ne seroient ni déshonorés ni gâtés de m’imiter. » Ce propos, joint à l’air sévère de Marin, fit un effet si prompt qu’à l’instant ce fut sans un mot de réplique à qui de ces troupes rouges se chargeroit le plus tôt de sacs. Et oncques depuis il n’y eut plus là-dessus la plus légère difficulté. Marin vit partir le détachement chargé, et alla aussitôt rendre compte au roi de ce qui s’y étoit passé et de l’effet de mon exemple. Ce fut un service qui m’attira plusieurs discours obligeants du roi, qui chercha toujours pendant le reste du siège à me dire quelque chose avec bonté toutes les fois qu’il me voyoit, ce dont je fus d’autant plus obligé à Marin que je ne le connoissois en façon du monde.

Le vingt-septième jour de tranchée ouverte, qui étoit le mardi 1er juillet 1692, le prince de Barbançon, gouverneur de la place, battit la chamade, et certes il étoit temps pour les assiégeants à bout de fatigues et de moyens par l’excès du mauvais temps qui ne cessoit point, et qui avoit rendu tout fondrière. Jusqu’aux chevaux du roi vivoient de feuilles, et aucun de cette nombreuse cavalerie de troupes et d’équipages ne s’en est jamais bien remis. Il est certain que sans la présence du roi dont la vigilance étoit l’âme du siège, et qui, sans l’exiger, faisoit faire l’impossible (tant le désir de lui plaire et de se distinguer étoit extrême), on n’en seroit jamais venu à bout ; et encore demeura-t-il fort incertain de ce qui en seroit arrivé si la place eût encore tenu dix jours, comme il n’y eut pas deux avis qu’elle le pouvoit. Les fatigues de corps et d’esprit que le roi essuya en ce siège lui causèrent la plus douloureuse goutte qu’il eût encore ressentie, mais qui de son lit ne l’empêcha pas de pourvoir à tout, et de tenir pour le dedans et le dehors ses conseils comme à Versailles, ainsi qu’il avoit fait pendant tout le siège.

M. d’Elbœuf, lieutenant général, et M. le Duc, maréchal de camp, étoient de tranchée lors de la chamade. M. d’Elbœuf mena les otages au roi, qui eut bientôt réglé une capi-