Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/296

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tromper. Avec beaucoup d’esprit, elle étoit insinuante, plaisante, robine, débauchée, point méchante, charmante surtout à table. En un mot elle avoit tout ce qu’il falloit à M. le duc d’Orléans, dont elle devint bientôt la maîtresse, sans préjudice des autres.

Comme elle ni son mari n’avoient rien, tout leur fut bon, et si ne firent-ils pas grande fortune. Montigny, frère de Turmenies, un des gardes du trésor royal, étoit un des chambellans de M. le duc d’Orléans, à six mille livres d’appointements, qui le fit son premier maître d’hôtel à la mort de Matharel qui l’étoit. Mme de Sabran trouva que six mille livres de rente étoient toujours bonnes à prendre pour son mari, dont elle faisoit si peu de cas, qu’en parlant de lui elle ne l’appeloit que son mâtin. M. le duc d’Orléans lui donna la charge qu’il paya à Montigny. C’est elle qui, soupant avec M. le duc d’Orléans et ses roués, lui dit fort plaisamment que les princes et les laquais avoient été faits de la même pâte, que Dieu avoit dans la création séparée de celle dont il avoit tiré tous les autres hommes.

Toutes ses maîtresses, en même temps, avoient chacune leur tour. Ce qu’il y avoit d’heureux, c’est qu’elles pouvoient fort peu de chose et n’avoient part en aucun secret d’affaires, mais tiroient de l’argent, encore assez médiocrement ; le régent s’en amusoit et en faisoit le cas qu’il en devoit faire. Retournons maintenant d’où le voyage de M. et de Mme de Lorraine et ces bagatelles nous ont détournés.