Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/307

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quoi plus de routes, d’étapiers ni de magasiniers, et leurs friponneries, insignes en effet, coupées par la racine, ce qui donneroit, disoit-il, un soulagement infini aux peuples, aux finances, aux troupes. Il sentit bien qu’il avoit besoin de quelqu’un de poids pour faire passer un projet si absurde. La merveille fut qu’il sut si accortement courtiser et arraisonner Puységur qu’il l’infatua de son projet.

Puységur, pétri d’honneur, abhorroit toutes ces friponneries, qu’il avoit vues sans cesse de ses yeux. Il a été parlé souvent de lui dans ces Mémoires. Il étoit extrêmement estimé pour sa vertu, sa valeur, sa capacité ; très considéré de M. le duc d’Orléans qui, comme on l’a vu, l’avoit mis comme un homme principal dans le conseil de guerre, et il est enfin, longtemps après, devenu maréchal de France avec l’acclamation publique.

Broglio, assuré d’un tel appui, proposa au régent son projet avec confiance et travailla plusieurs fois seul avec lui, et après avec Puységur en tiers. Il eut encore l’adresse de profiter de la défiance naturelle du régent, pour le détourner d’en parler au conseil de guerre, pour faire précipiter les ordres aux intendants des provinces pour une prompte exécution, et pour l’armer contre les représentations qu’il s’attendoit bien qui lui viendroient de toutes parts, dès que ce projet seroit connu. Il en coûta beaucoup en bâtiments aux villes et aux communautés, avant que les personnes employées dans les finances et dans le conseil de guerre, les plus accrédités intendants et beaucoup d’autres gens eussent pu dessiller les yeux au régent et fait abandonner une folie si ruineuse, qui tomba enfin après avoir bien fait du mal.

L’autre projet, pour lequel Broglio crut n’avoir pas besoin de second, ce fut l’augmentation de la paye des troupes telle qu’elle est aujourd’hui. Il en persuada la nécessité au régent par la grande augmentation du prix des choses les plus communes et les plus indispensables à leur subsistance, et qu’il