Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/364

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un corps de soldats de milices de soixante mille hommes commandés par les officiers réformés que le roi entretenoit, avec quoi il comptoit pouvoir mettre aisément en campagne les cent quatre-vingts bataillons que le roi avoit à sa solde. Cellamare combattit ce projet, puis voyant ses objections inutiles, il représenta qu’il ne suffiroit pas de prendre des précautions pour la sûreté de l’Italie, si Son Altesse Royale ne les faisoit savoir au roi de Sicile à temps, parce que, se croyant abandonné, il étoit vraisemblable qu’il feroit quelque démarche, où on ne pourroit plus remédier quand une fois l’engagement seroit pris. L’ambassadeur obtint du régent promesse d’en parler à Provane ; mais, peu content de son audience, il voulut remonter à la source du changement qu’il trouvoit. Il crut avoir pénétré que le maréchal de Villars et Broglio avoient proposé l’expédient des milices dans la vue d’empêcher une nouvelle guerre, la France n’ayant rien à craindre du trouble que l’empereur pouvoit apporter au repos de l’Italie, ni de ses entreprises contre le roi de Sicile. Cette opinion, frondée par Cellamare, étoit, disoit-il, celle d’un petit nombre de gens peu éclairés, et mal instruits des véritables intérêts de l’Europe, dont le maréchal d’Huxelles et la partie la plus judicieuse du ministère raisonnoient selon lui avec plus de justesse, et trouvoient que le roi avoit grand intérêt de s’opposer aux ambitieux desseins des Allemands, quoiqu’il ne dût recourir à la force qu’après avoir tenté tous les moyens possibles de parvenir à un accommodement raisonnable.

Je me suis toujours étonné qu’un homme d’autant d’esprit, de perspicacité, d’application que Cellamare, et qui n’étoit pas nouvellement arrivé, assez mêlé de plus dans la bonne compagnie, et qui savoit en profiter, se trompât si lourdement dans ses conjectures et dans ce qu’il croyoit avoir pénétré. Le mystère toutefois n’étoit pas difficile. L’intérêt particulier ne dominoit point le régent qui vouloit et alloit sincèrement au bien de l’État ; mais il l’étoit par l’abbé