Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/312

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J’allai donc voir Mme de Fontanieu qui étoit souvent à l’hôtel de Lauzun et que je trouvai seule. J’eus donc le passe-temps de l’entretenir, avec tout ce que j’avois dans la tête, de cette, affaire de Mme de Lauzun ; ce fut mon prétexte d’avoir à parler à Fontanieu d’un incident pressé qui y, étoit survenu. Fontanieu, qu’on trouva encore au voisinage, arriva bientôt ; ce fut un autre embarras que de me dépêtrer de leurs instances à tous les deux de traiter là cette affaire sans me donner la peine de descendre chez Fontanieu, et comme la femme en étoit informée autant que le mari, je vis le moment que je ne m’en tirerois pas. J’emmenai pourtant à la fin Fontanieu chez lui, à force de compliments à la femme de ne la vouloir pas importuner de la discussion de cette affaire de Randan.

Quand nous fûmes, Fontanieu et moi, en bas de son cabinet, je demeurai quelques moments à lui parler de cela pour laisser retirer les valets qui nous avoient ouvert les portes. Puis, à son grand étonnement, j’allai dehors voir s’ils étoient sortis, et je fermai bien les portes. Je dis après à Fontanieu qu’il n’étoit pas question de l’affaire de Mme de Lauzun, mais d’une autre toute différente, qui demandoit toute son industrie et un secret à toute épreuve, que M. le duc d’Orléans me chargeoit de lui communiquer : mais qu’avant de m’expliquer, il falloit savoir si Son Altesse Royale pouvoit compter entièrement sur lui. C’est une chose étrange que l’impression des plus hautes sottises, dont la noirceur est répandue avec art. Le premier mouvement de Fontanieu fut de trembler réellement de tout son corps et de devenir plus blanc que son linge. Il balbutia à peine quelques mots, qu’il étoit à Son Altesse Royale tant que son devoir le lui permettroit. Je souris en le regardant fixement, et ce sourire l’avertit apparemment qu’il me devoit excuses de n’être pas en pleine assurance quand une affaire passoit par moi, car il m’en fit tout de suite, et avec l’embarras d’un homme qui sent bien que la première vue lui a offusqué