Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/468

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contenir le mien, je n’en perdis pourtant aucune chose. L’étonnement prévalut aux autres passions. Beaucoup parurent aises, soit équité, soit haine pour le duc du Maine, soit affection pour le comte de Toulouse ; plusieurs consternés. Le premier président perdit toute contenance ; son visage, si suffisant et si audacieux, fut saisi d’un mouvement convulsif ; l’excès seul de sa rage le préserva de l’évanouissement. Ce fut bien pis à la lecture de la déclaration. Chaque mot étoit législatif et portoit une chute nouvelle. L’attention étoit générale, tenoit chacun immobile pour n’en pas perdre un mot, et les yeux sur le greffier qui lisoit. Vers le tiers de cette lecture, le premier président, grinçant le peu de dents qui lui restoient, se laissa tomber le front sur son bâton, qu’il tenoit à deux mains, et, en cette singulière posture et si marquée, acheva d’entendre cette lecture si accablante pour lui, si résurrective pour nous.

Moi cependant je me mourois de joie. J’en étois à craindre la défaillance ; mon cœur, dilaté à l’excès, ne trouvoit plus d’espace à s’étendre. La violence que je me faisois pour ne rien laisser échapper étoit infinie, et néanmoins ce tourment étoit délicieux. Je comparois les années et les temps de servitude, les jours funestes où, traîné au parlement en victime, j’y avois servi de triomphe aux bâtards à plusieurs fois, les degrés divers par lesquels ils étoient montés à ce comble sur nos têtes ; je les comparois, dis-je, à ce jour de justice et de règle, à cette chute épouvantable, qui du même coup nous relevoit par la force de ressort. Je repassois, avec le plus puissant charme, ce que j’avois osé annoncer au duc du Haine le jour du scandale du bonnet, sous le despotisme de son père. Mes yeux voyoient enfin l’effet et l’accomplissement de cette menace. Je me devois, je me remerciois de ce que c’étoit par moi qu’elle s’effectuoit. J’en considérois la rayonnante splendeur en présence du roi et d’une assemblée si auguste. Je triomphois, je me vengeois, je nageois dans ma vengeance ; je jouissois du plein accomplissement des