Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/159

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et aux respects, fut enchanté de ceux qu’il trouva dans les deux frères. À son tour, il fut charmé de leur esprit et de leurs lumières. Il les présenta à Canillac à qui ils prostituèrent tout leur encens. Lui et Rémond en parlèrent à l’abbé Dubois. Rémond fit que Stairs les lui vanta aussi ; il les voulut voir. Jamais deux hommes si faits exprès l’un pour l’autre que Dubois et Chavigny, si ce n’est que celui-ci en savoit bien plus que l’autre, avoit la tête froide et capable de plusieurs affaires à la fois. Dubois le reconnut bientôt pour un homme qui lui seroit utile, et dont la délicatesse ne s’effaroucheroit de rien. Il l’employa donc en de petites choses quand lui-même commença à poindre ; en de plus grandes, à mesure qu’il avança ; et en fit enfin son confident dans le soulagement dont il eut besoin dans ses négociations avec l’Angleterre. Parvenu au chapeau et à la toute-puissance, et n’ayant plus besoin de ce second à Londres ni à Hanovre, il l’envoya à Gènes rôder et découvrir en Italie, et enfin exécuter une commission secrète en Espagne.

Au premier mot que je dis de sa prochaine arrivée au marquis de Grimaldo, il fit un cri qui m’étonna, il rougit, se mit en colère : « Comment, monsieur, me dit-il, dans le moment de la réconciliation personnelle de M. le duc d’Orléans, dans le moment des deux mariages qui en sont le sceau, et de l’union la plus intime des deux couronnes et des deux branches royales, nous envoyer Chavigny, si publiquement déshonoré qu’il n’est personne en Europe qui ignore une telle aventure ! Que veut dire votre cardinal Dubois par un tel négociateur ? N’est-ce pas afficher qu’il veut nous tromper que de l’envoyer ici chargé de quelque chose ? » Il en dit tant, et plus sur le cardinal, et se déboutonna pleinement sur l’opinion qu’il avoit de lui. Je le laissai tout dire, et je ne pus disconvenir avec lui que Chavigny ne portoit pas une réputation qui pût concilier la confiance. Mais enfin je lui dis que le cardinal en avoit fait son confident personnel, qu’il l’envoyoit sans m’en avoir rien mandé