Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/180

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d’expliquer et de raconter. Je le priai de la communiquer à Le Blanc, et de voir ensemble ce qu’ils pourroient faire pour empêcher l’exécution d’un projet, dont l’absurdité étoit la moins mauvaise partie. En même temps je fis prier Grimaldo par Sartine que je le pusse voir dès qu’il seroit en état d’entendre un peu parler d’affaire qui pressoit, et que ce fût même avant de recommencer d’aller travailler au palais. Il le fit en effet de très bonne grâce, et c’est la seule fois que je l’aie vu dans sa maison à Madrid. Je lui appris tout ce que j’avois su de Chavigny, et il me parut que je lui faisois grand plaisir. Il admira autant que moi ce manège apparent de silence obstiné du cardinal avec Chavigny sur le passage de don Carlos, et l’apparente témérité de cet intime confident de la traiter à Madrid sans ordre, instruction, ni lettre de créance.

Grimaldo n’avoit pas besoin de cette touche pour former son opinion sur tous les deux. Nous continuâmes à nous déboutonner ensemble sur l’un et sur l’autre. De là je lui représentai au long tout ce que je viens d’expliquer de l’absurdité et des dangers de ce prématuré passage ; surtout je ne lui laissai pas ignorer le mot de Chavigny, échappé à Pecquet, d’établissement présent pour don Carlos et lui, et lui en exposai toutes les conséquences. Grimaldo ne feignit point de s’ouvrir entièrement avec moi là-dessus et fut totalement de mon sentiment. Il me donna ensuite une plus grande marque de confiance, quoiqu’en me parlant plus obscurément de sa crainte d’un si funeste projet, mais qui pouvoit flatter et éblouir ; et comme j’étois au fait des intérêts, des liaisons, des cabales que j’ai ici rapportées, son discours, tout mesuré, tout enveloppé là-dessus, me fit sentir que j’étois parfaitement informé. Il me remercia de cette visite comme d’un service essentiel que je lui avois rendu pour le mettre au fait de ce que Chavigny lui proposeroit, et le mettre en