Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/200

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m’avancer. Ils se parlèrent bas, puis la reine m’appela, et quand je fus près d’elle : « Voilà qui est fait, me dit-elle, il n’y aura point de bal ; mais pour s’en dépiquer, ce fut son terme, le roi en aura un petit ce soir, après souper, dans notre particulier, où il n’y aura que du palais, et le roi veut que vous y veniez. » Je leur fis une profonde révérence et mon remerciement, tout cela, arrêtés sur ce repos du degré. La reine me répéta : « Mais vous y viendrez donc ? » Je répondis à cet honneur comme je devois. Le roi me dit : « Au moins, il n’y aura que nous. » Et la reine continua : « Et nous danserons tout à notre aise et en liberté ; » et tout de suite [ils] achevèrent de descendre, et je les vis monter en carrosse.

Le bal fut dans la petite galerie intérieure. Il n’y eut que les seigneurs en charge, le premier écuyer, les majordomes de semaine, la camarera-mayor, les dames du palais, les jeunes señoras de honor et caméristes. Le roi, la reine, le prince des Asturies s’y divertirent fort ; tout le monde y dansa force menuets, encore plus de contredanses, jusque sur les trois heures après minuit que Leurs Majestés se retirèrent et le prince des Asturies. Ce fut là où je vis et touchai à mon aise la fameuse Pérégrine, que le roi avoit ce soir-là au retroussis de son chapeau, pendant d’une belle agrafe de diamants. Cette perle, de la plus belle eau qu’on ait jamais vue, est précisément faite et évasée comme ces petites poires qui sont musquées, et qu’on appelle de sept-engueule et qui paraissent dans leur maturité vers la fin des fraises. Leur nom marque leur grosseur, quoiqu’il n’y ait point de bouche qui en pût contenir quatre à la fois sans péril de s’étouffer. La perle est grosse et longue comme les moins grosses de cette espèce, et sans comparaison plus qu’aucune autre perle que ce soit. Aussi est-elle unique. On la dit la pareille et l’autre pendant d’oreilles de celle qu’on prétend que la folie de magnificence et d’amour fit dissoudre par Marc-Antoine dans du vinaigre, qu’il fit avaler à Cléopâtre.