Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/248

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suivi de deux aumôniers et des quatre majordomes du roi, de semaine, et assisté des deux évêques in partibus suffragants de Tolède, résidant à Madrid, en rochet et en camail. La duchesse de La Mirandole étoit fort parée et beaucoup de pierreries ; le marquis de Santa-Cruz portoit le petit prince. Les marquis d’Astorga et de Laconit, les ducs de Lezera ou de Licera, del Arco, de Giovenazzo et le prince Pio portèrent les honneurs. Le cardinal Borgia perdit tellement la tramontane qu’il ne savoit ce qu’il faisoit ni où il en étoit ; il fallut à tous moments le redresser malgré ses impatiences : il brusqua tout haut, non seulement ses aumôniers, mais les deux évêques qui voulurent venir au secours, et les majordomes qui, pour les cérémonies extérieures, s’en mêlèrent aussi, et qu’il prit tout haut à partie. Cette scène devint si ridicule que personne n’y put tenir : tout le monde riait, et bientôt tout haut, et les épaules en alloient au roi et à la reine qui en étoit aux larmes. Cela acheva d’outrer et de désorienter le cardinal, qui, à tout moment, passoit des yeux de fureur sur toute l’assistance, qui n’en riait que plus scandaleusement. Je n’ai rien vu de si étrange ni de plus plaisant ; heureusement pour chacun que tous furent également coupables, Leurs Majestés Catholiques pour le moins autant qu’aucun, et que la colère du cardinal ne put s’en prendre à personne en particulier. Elle alla jusqu’à gourfouler [1] les majordomes avec son poing, qui eurent grand’peine, en riant, d’en contenir les éclats. Pour le prince et la princesse des Asturies, ils ne s’en contraignirent pas.

Le 7 mars, le même prince reçut le sacrement de confirmation du même cardinal Borgia, ayant le prince des Asturies pour parrain. Cela se fit sans cérémonie. Il s’en falloit huit jours qu’il eût deux ans accomplis. Cette confirmation me sembla bien prématurée. Le lendemain 8 mars, il fut fait chevalier de l’ordre de Saint-Jacques et commandeur de

  1. Ce mot, qui a le sens de maltraiter, ne se trouve que dans les anciens lexiques. Voy. du Cange, V° Affolare.