Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/272

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guère que quatre heures après midi, et nous y attendîmes une heure et demie le retour de Leurs Majestés de la Granja, qui est devenu Saint-Ildephonse. La cuisine du duc del Arco étoit à côté. Au-dessus, il y avoit quatre petites cellules pour les trois seigneurs qui étoient du voyage, et pour Valouse, et, en bas, près de la cuisine, une espèce de petite salle longue et étroite, où le duc del Arco tenoit sa table. Avertis de l’arrivée de Leurs Majestés, nous allâmes les voir descendre de carrosse. Grimaldo les avoit averties ; elles s’attendoient à me trouver. La réception du roi fut froide, pour ne pas dire rechignée, sans dire une parole ; celle de la reine, embarrassée mais plus humaine. Elle me dit quelques mots, mais leur suite me fit la meilleure réception du monde. Le roi et la reine montèrent un degré de bois, entre deux bâtons pour garde-fous, où on ne pouvoit aller qu’un à un. Il étoit en dehors appuyé contre le pignon, et en l’air comme la montée d’un paysan dans son village. Au haut il y avoit un petit carré à tenir cinq ou six personnes pressées, d’où on entroit directement dans la chambre du roi et de la reine, sans rien de plus qu’une garde-robe au delà, et vis-à-vis la porte de la chambre de Leurs Majestés, en repassant le petit carré, une autre chambre toute seule. C’est là tout le logement avec quelques trous au-dessus ; et dessous, au rez-de-chaussée, la cuisine et l’office de Leurs Majestés.

Arrivé dans ce carré où Leurs Majestés s’étoient arrêtées pour m’attendre, je leur demandai la permission de les suivre et d’avoir l’honneur de leur dire un mot. Toute la suite demeura dans ce carré et dans la chambre joignante, et je me trouvai en tiers avec Leurs Majestés Catholiques, qui me menèrent dans la fenêtre, parce que le jour baissoit fort. « Qu’y a-t-il, monsieur, donc de si pressé ? » me dit le roi sèchement. Je commençai par des excuses d’être venu sans permission sur les ordres les plus exprès que j’en avois reçus pour leur rendre compte de ce qui s’étoit passé au conseil de régence, que je leur expliquai fort simplement,