Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/301

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offices de la couronne, mais que je savois aussi qu’il n’est pas souvent à propos de faire tout ce qu’on peut exécuter ; que quelque haine que j’eusse pour le duc de Noailles, et quelque juste mépris que j’eusse de son âme, de sa conduite et de ses quarts de talents, je le voyois revêtu, et point de crime qui autorisât à le dépouiller. S’il y en avoit quelqu’un, il le falloit montrer, le prouver et l’établir publiquement, avec tant de solidité, sans même rien de forme juridique, que cela fermât la bouche au monde. Mais s’il n’y avoit que des sujets de simple mécontentement, le dépouiller seroit et paroîtroit une violence qui irriteroit tout le monde, et en particulier tous ceux qui avoient des charges, et tous leurs entours, dont chacun se diroit avec raison : « Aujourd’hui le duc de Noailles, et demain moi, si la fantaisie en prend ; et qui me garantira d’une fantaisie ? » Dès lors, voilà tout ce qu’il y a de gens les plus établis et les plus considérables, et tout ce qui tient à eux, dans le plus grand éloignement de M. le duc d’Orléans et d’un gouvernement sous lequel il n’y a de sûreté pour personne ; et c’est la semence la plus fertile et la plus dangereuse des associations, des complots, et de tout ce qu’ils enfantent de plus sinistre. « Voyons les choses, ajoutai-je, comme elles sont et comme elles se présentent. Bien ou mal à propos, le duc de Noailles est le troisième capitaine des gardes, et le troisième gouverneur du Roussillon, de père en fils. Il a, depuis qu’il a commencé à paroître, été sans cesse dans des emplois brillants. Les établissements de ses sœurs et de toute sa famille sont immenses, tous gens qui, par intérêt et par honneur ne peuvent pas ne point sentir vivement le coup dont il sera frappé ; et plus il tombe sur un homme si grandement établi, et lui et ses plus proches et nombreux entours, plus M. le duc d’Orléans s’en fait des ennemis irréconciliables, plus toutes les charges du royaume tremblent et s’indignent d’autant plus que la plupart de leurs possesseurs, quant à leurs personnes, aucun, quant à leurs entours, n’ont pas à beaucoup