Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/357

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Toutefois, il ne put le garder tout entier au duc de Villeroy, au maréchal de Tallard et à quelque peu d’autres ; il s’en tira avec eux par leur dire tranquillement qu’il avoit fait tout ce qu’il avoit pu pour remplir un engagement qu’il ne niait pas, mais qu’après y avoir satisfoit autant qu’il étoit en lui, il avoit cru ne pouvoir se dispenser d’obéir aux ordres si exprès du roi et du régent, ni devoir abandonner le roi pour opérer le retour du maréchal de Villeroy, qui étoit l’objet de leur engagement réciproque, et qu’il étoit sensible que l’opiniâtreté de son absence n’opéreroit pas. Mais parmi ces excuses si sobres, on sentoit la joie percer malgré lui de se trouver défait d’un supérieur si incommodé, de n’avoir plus affaire qu’à un gouverneur dont il n’auroit qu’à se jouer, et de pouvoir désormais se conduire en liberté vers le grand objet où il avoit toujours tendu, qui étoit de s’attacher le roi sans réserve, et de faire de cet attachement obtenu par toutes sortes de moyens, la base d’une grandeur qu’il ne pouvoit encore se démêler à lui-même, mais dont le temps et les [conjonctures [1] ] lui apprendroient à en tirer les plus grands partis, et marcher en attendant fort couvert. On laissa le maréchal se reposer et s’exhaler cinq ou six jours à Villeroy, et comme il n’avoit aucun talent redoutable, éloigné de la personne du roi, on l’envoya à Lyon, avec la liberté d’exercer ses courtes fonctions de gouverneur de la ville et de la province, en prenant les mesures nécessaires pour le faire veiller de près, et laissant auprès de lui du Libois pour émousser son autorité par cet air de précaution et de surveillance qui lui ôtait tout air de crédit. Il n’y voulut point recevoir d’honneurs en y arrivant. Une grande partie de son premier feu étoit jetée ; ce grand éloignement de Paris et de la cour, où tout étoit non seulement demeuré sans le plus léger mouvement, mais dans l’effroi

  1. Il y a conjectures dans le manuscrit, mais c’est une erreur évidente : il faut lire conjonctures.