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Dans l’ardeur de votre zèle inquisitorial, vous confondez avec des écrits, peut-être méprisables en effet (je ne les ai pas tous lus), le noble Jean Reynaud et sa philosophie religieuse, sa soif d’immortalité, sa vie future dans les astres. Chimère de savant, soit ; mais, chimère pour chimère, celle-là en vaut bien d’autres.

Je ne suis pas payé pour défendre M. Pelletan : il a été de tous temps pour moi un adversaire, peut-être un ennemi. Mais y pensez-vous bien ? Quoi ! cet écrivain, pour ses livres mêmes, est agréé du peuple ; il est à Paris l’élu du suffrage universel, il est député et membre du Corps qui dans la Constitution est corrélatif au vôtre ; et vous allez, en raison même de ses livres, lui imprimer une note qui le ferait réélire cent fois pour une s’il ne devait pas être réélu sans cela ! (Rumeurs.)

Un Sénateur. Ce n’est pas la question.

M. Sainte-Beuve. Élu pour ses ouvrages par le peuple à Paris, vous allez déclarer qu’il ne doit point trouver place dans une bibliothèque pour le peuple à Saint-Étienne ? Est-ce raisonnable ? Est-ce prudent ? Où est la sagesse ? Et puis (car on ne peut pas tout dire), ce livre de lui qu’on incrimine, la Nouvelle Babylone, mais l’avez-vous lu ? C’est un livre de morale, de satire austère, puritaine, presque farouche, contre les corruptions, contre les dépravations, contre les plaisirs ; mais dans ce livre, M. Pelletan est un Tertullien stoïcien. Qu’avez-vous donc à le proscrire ? Vous ne l’avez pas lu ; c’est un livre de morale chagrine et excessive ; lui, c’est un Juvénal ; je ne parle pas du talent, mais je réponds au moins de la sévérité et de l’âpreté. C’est donc sur son nom que vous le proscrivez ?

M. le Président. Comme l’auteur de tout livre :

« Il est esclave-né de quiconque l’achète. »

M. Sainte-Beuve. Ai-je épuisé la liste[1] ? Je ne sais, mais vous

  1. Dans ce résumé rapide, il m’est arrivé d’oublier, je ne sais comment, le livre de M. Dargaud : Histoire de la Liberté religieuse en France. Or ce livre, dénoncé par les pétitionnaires de Saint-Étienne, a eu l’honneur d’être couronné par l’Académie française en 1861 et de partager avec un ouvrage de M. Géruzez le grand prix de la fondation Gobert pour cette année-là. M. Vil-