Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/479

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lequel ils se détachent de leur temps, et celui par lequel ils y plongent. La Fare, à cause du caractère sérieux et tout à fait politique de ses Mémoires, qui fait si fortement contraste avec sa vie dernière, prêterait encore mieux que Chaulieu à une telle étude. Quant à son caractère, on peut lui appliquer ce qu’il a dit de l’un de ceux qu’il juge : « Il était, comme la plupart des autres hommes, composé de qualités contraires : paresseux, voluptueux, nonchalant et ami du repos, mais sensé, courageux, ferme et capable d’agir quand il le fallait. » Pourtant, avec une esprit de première qualité, un sens excellent et un brillant courage, la paresse finit par prendre chez lui le dessus et par l’emporter absolument. On sait que Mme de Coulanges prétendait qu’il n’avait jamais été amoureux, pas même de Mme de La Sablière ; cet amour avait été pour beaucoup dans les raisons qu’il avait eues de quitter de bonne heure le service : « Il se croit amoureux, disait Mme de Coulanges, mais c’est tout simplement de la paresse, de la paresse, et encore de la paresse. » Sa fin a trop justifié ce spirituel pronostic. Les plus jolis vers qu’il ait adressés à son ami Chaulieu ont pour sujet la paresse également. Tout cela peut paraître agréable un moment en poésie ; dans le fait et en réalité, ce fut moins beau, et, on l’a vu, d’une très-triste conséquence. On ne peut s’empêcher de conclure qu’il a été bien funeste à ce délicat esprit d’appeler, au secours d’une indolence chez lui si naturelle, la paresse raisonnée de Chaulieu, et d’insister sur une doctrine qui a pour effet immédiat d’amollir les courages et de supprimer le ressort des âmes. Au lieu de résister et de se maintenir, il s’abandonna, il s’engloutit. Pour juger en dernier résultat de la philosophie de Chaulieu, il convient de montrer La Fare, non le La Fare élégant et mince