Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/34

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vingt ans, quoiqu’elle n’en eût que dix-neuf. Le manuscrit, s’est perdu ; mais ce qu’elle ne perdit jamais, c’est l’habitude de traduire en livre, en roman, en leçon, tout ce qui s’offrait à elle. Tout lui était matière à écrire et à faire un traité.

De la grâce, de l’élégance dans la forme, une grande affabilité sociale, le discernement mondain des caractères et le talent de s’y insinuer, une teinte universelle de sentiment qui colorait et dissimulait la pédanterie, c’étaient là ses charmes dans la jeunesse. Quand elle fut entrée au Palais-Royal comme l’une des dames de la duchesse de Chartres (mère de Louis-Philippe), elle y réussit beaucoup, y excita de l’admiration et de l’envie, et y devint une manière de centre. Elle se trouva bientôt liée avec la jeune et facile princesse par une véritable amitié, et il fut décidé entre elles qu’elle deviendrait la gouvernante de ses filles, et (contre l’usage) leur gouvernante dès le berceau. Après quelques années passées au Palais-Royal, Mme de Genlis, âgée de trente et un ans (1777), fît donc sa retraite avec une sorte d’éclat ; elle quitta solennellement le rouge (ce qui était un grand signe alors), et elle alla habiter au couvent de Belle-Chasse un petit pavillon qu’elle s’était fait bâtir et où elle s’installa avec ses élèves. Mais sa condition ne fut tout à fait complète que lorsque quelque temps après (1781) le duc de Chartres, qui n’était pas moins sous le charme, lui eut conféré les fonctions et le titre de gouverneur de ses fils. Ce fut un grand moment dans la vie de Mme de Genlis : « Je vis, dit-elle, la possibilité d une chose extraordinaire et glorieuse, et je désirai qu’elle pût avoir lieu. » On reconnaît à cette exclamation la romancière jusque dans la joie du gouverneur. Mme de Genlis avait trouvé son idéal. Elle était enfin arrivée au comble de ses vœux, et elle allait nager dans la pléni-