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Mme de Girardin, avant tout, a le sentiment du monde extérieur, de la beauté qui y est conforme, de la régularité de lignes et de contours, de l’élégance : c’est ce qu’on trouve dans ses Élégies. Car, pour les pièces consacrées à célébrer des événements publics, il n’en faut point parler. Mais, dans ses Élégies premières (Ourika, Il m’aimait, Natalie, etc.), il y a quelque mouvement, des vers heureux, parfois brillant ; d’autres fins ou spirituels. Ourika, la négresse, dira très-bien de celui qu’elle aime et qui ne s’en aperçoit pas :

Et si parfois mes maux troublaient son âme tendre,
L’ingrat ! il m’appelait sa sœur !

Dans le monde, il suffit d’un de ces jolis vers, d’un de ces jolis mots (l’ingrat !) pour défrayer de poésie toute une soirée, et surtout quand le poëte est là brillant lui-même, spirituel et beau, et qui paie de sa présence.

Il est remarquable comme la préoccupation perpétuelle de la beauté physique domine dans toutes les Élégies de Mlle Delphine Gay, et en est comme l’inspiration directe et déclarée. Cette belle jeune fille ne sait pas, en général, dégager son imagination des types convenus (Chevalier français, Beau Dunois, Muse de la Patrie) ; elle se prend à ces types naturellement, de bonne foi, mais trop en idolâtre et par les dehors. On sent que, dès l’origine, la source intérieure, intime, n’est pas très-abondante, et que cette chevalerie de tête et de cœur, dont le poëte s’exalte un moment, ne saurait longtemps tenir devant l’esprit qui est tout à côté dans la même personne, et qui va tout déjouer. Il y a en Mme de Girardin un homme de beaucoup d’esprit (celui qui sera le vicomte de Launay), et qui a tué le poëte ; tué, non, car le poëte apparaît encore parfois avec son masque, sa cuirasse, son casque de Clorinde, son es-