seule nouveauté de situation produit dans l’expression
des sentiments naturels et simples un véritable
rajeunissement. Voulez-vous, par exemple, une variante de
Hoc erat in votis d’Horace, de ce vœu de tout poète et
de tout sage qui ne demande désormais au ciel que le
plus humble bonheur ? Voici la petite pièce tout
entière, dans sa simplicité relevée d’une bordure
étincelante ; elle est intitulée la Dumas, c’est le nom d’une
rivière de l’île Bourbon :
Sous le tranquille azur du plus doux des climats,
Une humble maisonnette aux bords de la Dumas ;
Une humble maisonnette aux persiennes blanches,
Sous un réseau fleuri de liane et de branches,
Où je puisse, à midi, rêvant au bruit des eaux.
Mêler ma poésie aux rimes des oiseaux ;
À droite, une rizière où le bengali chante ;
D’un vieil arbre à mon seuil l’attitude penchante.
Où, tous les ans, viendront les martins au bec d’or
Suspendre leurs doux nids et couver leur trésor ;
Un jardin clos d’un mur où rampe la raquette ;
Une ruche, et des fleurs dont l’oiseau vert becquette
La poudreuse étamine et l’odorant émail ;
Des buissons d’orangine aux perles de corail ;
Un parterre où toujours j’aurai de préférence
Des roses du Bengale et des muguets de France ;
Une verte tonnelle à l’ombre des lilas,
Dont la fleur m’est si douce et meurt si vite, hélas !
Des livres, une femme, heureuse et jeune épouse,
Avec deux beaux enfants jouant sur la pelouse ;
Et, fermant de mes jours le cercle fortuné.
Le bonheur de mourir aux lieux où je suis né !
Un autre poète de l’île Bourbon (car cette race de
créoles semble née pour le rêve et pour le chant), M. Leconte
de Lisle, qui n’est encore apprécié que de quelques-uns,
a un caractère des plus prononcés et des plus dignes
entre les poètes de ce temps. Jeune, mais déjà mûr,
d’un esprit ferme et haut, nourri des études antiques