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sur m. littré.

Tel qu’on me l’a dépeint, et quoique enlaidi par la petite vérole, il était des mieux faits dans sa jeunesse, un homme superbe, athlétique, d’une vigueur, d’une adresse, d’une intrépidité sans égale, et avec des sentiments d’une fierté, d’une indépendance, d’une ambition généreuse, qui le mettaient tout à fait hors de pair. Nul doute que si, au lieu de courir les mers de l’Inde, il s’était trouvé en France dans ces années brûlantes et fécondes où les géants se levèrent, sortirent des sillons, et où la Révolution enfanta ses hommes, il n’eût été l’un d’eux et n’eût fait grandement son chemin, s’il n’avait péri. Au lieu de cela, il sema sa force sur l’élément stérile, sur la plaine où l’on ne vendange pas. Quand, après onze ans d’absence, il revint à terre, ayant quitté le service, le 18 Brumaire avait sonné ou allait sonner la lutte des principes expirait. Il fallait vivre. Littré s’était marié, il était père : il entra dans les Droits réunis dès la fondation, grâce à une très-belle écriture et à la bienveillance de Français de Nantes. Après quelque emploi en province, il fut appelé à Paris, où il devint chef de bureau à l’administration centrale. Sa carrière ne fut même fixée et arrêtée à ce cran définitif qu’à la suite d’un incident où il fit preuve d’une probité intraitable et inflexible. Cependant il profitait de ses moments de loisir pour l’étude ; il avait assemblé une très-bonne bibliothèque en tout genre, et se jetant sur les choses de l’esprit avec la force qu’il mettait à tout, il s’était avancé et formé lui-même. Il apprit le grec pour le montrer à son fils ; plus avancé en âge, il apprit même du sanscrit, et il avait des livres en cette