Page:Sainte-Beuve - Nouveaux lundis, tome 6.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

338 NOUVEAUX LUNDIS.

qu’il tourne le dos à cette forme de récit courante et naturelle qui n’intéresse que par le fond et qui se fait oublier. Ne lui reprochez pas ce qui est son intention et son dessein même. Qu’y faire ? Pimmédiat, en quoi que ce soit, ne lui fait pas l’effet de l’art, Manon Lescaut lui paraît trop simple, j’en suis sùr, et, telle qu’elle est, ne le tente pas. Il la préférerait de beaucoup avec un loup de velours sur le front et chaussée d’un brodequin. Il aime mieux voir la nature à travers un léger travestissement. Il semble avoir pris partout pour devise ce mot de Jean et Jeannette.- « Le masque nous a rendus vrais. »

Mais ce qu’il faut dire pour juger ce roman à son vrai point de vue, c’est que c’est’ le chef-d’œuvre de la littérature Louis XIII qui sort de terre, après plus de deux siècles, avec tout un vernis de nouveauté. C’est la plus grande impertinence qu’on se soit permise en faveur des genres foudroyés par Boileau. Elle est un peu longue, dira-t-on, cette impertinence ; mais la’longueur même fait partie de la revanche, et le descriptif, en reparaissant, se devait à lui-même une réhabilitation complète et sur toutes les coutures. Quand on écrira désormais l’histoire littéraire de l’époque de Louis XIII, on ne pourra le faire sans y joindre cette œuvre posthume, ce ricochet qui fait bouquet. Théophile Gautier s’est incrusté par là dans la littérature du passé. Il s’est impose aux Géruzez futurs. l)ans cette espèce d’Élysée bizarre et bachique qu’on se figure aisément pour ces libres et un peu folàtres esprits d’avant Louis XIV, il me semble d’ici les voir, à cette heure de réveil,