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POÉSIES


Pourtant la voici… Rien n’empêche
D’entendre son pas dans le bois.
Non… ce n’est qu’une feuille sèche,
Ou la poire mûre ou la pêche
Qui tombe à terre de son poids.

La teinte du couchant de plus en plus s’efface ;
L’aile du crépuscule en éteint les couleurs.
La Lune, alors, ôtant le voile de sa face,
Regarde sans témoins, se penche sur les fleurs,
Telle une fiancée autour de sa corbeille ;
Et la Terre, posant son beau front endormi,
Semble une jeune épouse, et sous le ciel sommeille,
Longs cheveux, seins épars, bras ployés à demi,

Mais dans la brume fantastique
J’ai vu sa robe d’un blanc pur…
Non, c’est le marbre d’un portique.
Une Pomone, un Mars antique,
Sous les ifs au feuillage obscur.

Pourquoi battre si vite à ces folles idées,
Mon cœur ? mon pauvre cœur, pourquoi t’enfler ainsi,
Et dans mon sein bondir à vagues débordées ?
J’ai beau regarder… rien… Je me dévore ici ;
L’ombrage est sans fraîcheur… Oh ! pourvu qu’elle vienne !
Oh ! seulement l’entendre ! oh ! seulement la voir !
Seulement son soupir, ou sa main dans la mienne,
Ou les plis de son schall qui flotte au vent du soir !

Et durant l’ardente prière
Déjà luisait l’heureux moment ;
Car elle, arrivant par derrière,
M’avait aperçu la première,
Et couvrait de baisers l’amant.