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POÉSIES


Oh ! dis-moi, Tamise, ô vieux fleuve,
Car sur tes bords jusqu’à ce jour
Plus d’une race à l’âme neuve
S’en vint s’essayer à son tour,
Dis-moi, Tamise, parmi celle
D’aujourd’hui, quel vainqueur excelle
À fendre le fil de tes eaux,
À désoler la tourterelle,
À rechasser la balle grêle,
À fouetter le bond des cerceaux ?

Tandis qu’en des heures plus graves
Les uns luttent, l’esprit chargé,
Et, de l’étude ardents esclaves,
Plus doux sentiront le congé,
D’autres, d’humeur aventurière,
Franchissent enceinte et barrière ;
Ils vont se retournant souvent ;
À chaque bruit qu’écho renvoie,
Ils vont d’une tremblante joie,
Daims échappés, l’oreille au vent.

Pour eux l’espoir, chimère aisée,
Loin encor des objets moqueurs !
Les pleurs qui ne sont que rosée,
Car un soleil est dans leurs cœurs !
Pour eux la source d’allégresse,
Source montante et qui se dresse
Comme un jet d’eau sur son gazon ;
Jours pleins, nuit close et qui s’ignore,
Un gai sommeil qui sent l’aurore,
Et qui s’enfuit dans un rayon !

Hélas ! devant la bergerie,
Agneaux déjà marqués du feu,