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LES CONSOLATIONS.


Et moi, comme eux, Seigneur, je m’écrie et t’implore,
Et nul signe d’en haut ne me répond encore ;
Comme eux j’erre incertain, en proie aux sens fougueux,
Cherchant la vérité, mais plus coupable qu’eux ;
Car je l’avais, Seigneur, cette vérité sainte :
Nourri de ta parole, élevé dans l’enceinte
Où croissent sous ton œil tes enfants rassemblés,
Mes plus jeunes désirs furent par toi réglés ;
Ton souffle de mon cœur purifia l’argile ;
Tu le mis sur l’autel comme un vase fragile,
Et les grands jours, au bruit des concerts frémissants,
Tu l’emplissais de fleurs, de parfums et d’encens.
Tu m’aimais entre tous ; et ces dons qu’on désire,
Ce pouvoir inconnu qu’on accorde à la lyre,
Cet art mystérieux de charmer par la voix,
Si l’on dit que je l’ai, Seigneur, je te le dois ;
Tu m’avais animé pour chanter tes merveilles,
Comme le rossignol qui chante quand tu veilles.
Qu’ai-je fait de tes dons ? — J’ai blasphémé, j’ai fui ;
Au camp du Philistin la lampe sainte a lui :
L’orgue impie a chassé l’air divin qui l’inspire,
Et le pavé du temple a parlé pour maudire.
Grâce ! j’ai trop péché : tout fier de ma raison,
Plus ivre qu’un esclave échappé de prison,
J’ai rougi, j’ai menti des tiens et de toi-même,
Et de moi ; j’ai juré que j’étais sans baptême ;
J’ai tenté bien des cœurs à de mauvais combats ;
Lorsque passait un mort, je ne m’inclinais pas.
Tu m’as puni, Seigneur : — un jour qu’à l’ordinaire
Sans pudeur outrageant ta harpe et ton tonnerre,
Comme un enfant moqueur, sur l’abîme emporté,
Je roulais glorieux dans mon impiété,
Ta colère s’émut, et, soufflant sans orage,
Enleva mon orgueil ainsi qu’un vain nuage ;