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LES CONSOLATIONS.


III

À M. AUGUSTE LE PRÉVOST


Quis memorabitur tui post mortem et
quis orabit pro te ?
De Imit. Christi, lib. I, cap. xxiii.


Dans l’île Saint-Louis, le long d’un quai désert,
L’autre soir je passais ; le ciel était couvert,
Et l’horizon brumeux eût paru noir d’orages,
Sans la fraîcheur du vent qui chassait les nuages ;
Le soleil se couchait sous de sombres rideaux ;
La rivière coulait verte entre les radeaux ;
Aux balcons çà et là quelque figure blanche
Respirait l’air du soir ; — et c’était un dimanche.
Le dimanche est pour nous le jour du souvenir ;
Car, dans la tendre enfance, on aime à voir venir,
Après les soins comptés de l’exacte semaine
Et les devoirs remplis, le soleil qui ramène
Le loisir et la fête, et les habits parés,
Et l’église aux doux chants, et les jeux dans les prés ;
Et plus tard, quand la vie, en proie à la tempête,
Ou stagnante d’ennui, n’a plus loisir ni fête,
Si pourtant nous sentons, aux choses d’alentour,
À la gaîté d’autrui, qu’est revenu ce jour,
Par degrés attendris jusqu’au fond de notre âme,
De nos beaux ans brisés nous renouons la trame,
Et nous nous rappelons nos dimanches d’alors,
Et notre blonde enfance, et ses riants trésors.
Je rêvais donc ainsi, sur ce quai solitaire,