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LES CONSOLATIONS.

Et Dante aussi, Milton et son aïeul Shakspeare,
Rubens, Rembrandt, Mozart, rois chacun d’un empire,
Tous ces mortels choisis, qui, dans l’humanité,
Réfléchissent le ciel par quelque grand côté,
Iront-ils, au moment d’adorer face à face
Le Soleil éternel devant qui tout s’efface,
Appeler feu follet l’astre qui les conduit,
Ou l’ardente colonne en marche dans leur nuit ?
Moïse, chargé d’ans et prêt à rendre l’âme,
Des foudres du Sina renia-t-il la flamme ?
Quand de Jérusalem le temple fut ouvert,
Qui donc méprisa l’arche et l’autel du désert ?
Salomon pénitent, à qui son Dieu révèle
Les parvis lumineux d’une Sion nouvelle,
Et qui, les yeux remplis de l’immense clarté,
Ne voit plus ici-bas qu’ombre et que vanité,
Lui qui nomme en pitié chaque chose frivole,
Appelle-t-il jamais le vrai temple une idole ?
Oh ! non pas, Salomon ; l’idole est dans le cœur ;
L’idole est d’aimer trop la vigne et sa liqueur,
D’aimer trop les baisers des jeunes Sulamites ;
L’idole est de bâtir au Dieu des Édomites,
De croire en son orgueil, de couronner ses sens,
D’irriter, tout le jour, ses désirs renaissants,
D’assoupir de parfums son âme qu’on immole ;
Mais bâtir au Seigneur, ce n’est pas là l’idole.

Le Seigneur qui, jaloux de l’œuvre de ses mains,
Pour animer le monde y créa les humains,
Parmi ces nations, dans ces tribus sans nombre,
Sur qui passent les ans mêlés de jour et d’ombre,
À des temps inégaux suscite par endroits
Quelques rares mortels, grands, plus grands que les rois,
Avec un sceau brillant sur leurs têtes sublimes,