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PENSÉES D’AOÛT.

S’est souvenu de lui, ce qu’il disait aux mères
(Car le prêtre, encor loin, manquait dans ces misères),
Celui-là seul le sait, qui sait combien d’épis
Recèlent en janvier les sillons assoupis !

Ce village où Senlis est la ville prochaine,
Qu’éloignent de Paris dix-neuf bornes à peine,
A tout un caractère à qui l’observe bien.
Pas de vice, de l’ordre ; et pourtant le lien
De famille est peu fort. On y tient à la terre ;
Chacun en veut un coin ; être propriétaire
D’un petit bout de champ derrière la maison,
D’où se tire le pain, même en dure saison,
C’est le vœu. Rien après, de quoi l’on se soucie :
Que fait le pain de l’âme à leur âme endurcie ?
L’industrie elle-même a l’air de trop pour eux :
Quand les hameaux voisins, chaque jour plus nombreux,
Aux fabriques surtout gagnent le nécessaire,
Ceux-ci sont des terriens qui les regardent faire.
La famille, ai-je dit, compte peu cependant :
Le fils, avec sa part, s’isole indépendant ;
Aux filles qui s’en vont, sans leur mère, à la danse,
La morale du père est la seule prudence.
Bref, l’égoïsme au fond, de bon sens revêtu,
Et quelques qualités sans aucune vertu !

Le mal existe aux champs. Quand, lassé de la ville,
Et ne voulant d’abord qu’un peu d’ombre et d’asile,
On arrive, le calme, et la douce couleur,
L’air immense, tout plaît et tout paraît meilleur,
Tout paraît innocent, et l’homme et la nature.
Regardez plus à fond, et percez la verdure !
Un jour que j’admirais de jeunes plants naissants,
Aux lisières d’un bois un semis de deux ans.