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PENSÉES D’AOÛT.

Vrai médecin de l’âme, à qui rien ne manquait
Du pouvoir transféré des Singlin, des Duguet.
Monsieur Antoine donc (l’humilité prudente
Avait choisi ce nom)[1] près de la Présidente
Vit l’enfant, et sourit à ce tendre fardeau.
Durant les courts séjours du vieillard au château,
L’enfant l’accompagnait chaque soir aux collines,
Et, d’une âme dès lors inclinée aux racines,
Il l’écoutait parler du germe naturel
Endurci, corrompu, du mal perpétuel
Que même un cœur enfant engendre, s’il ne veille :
De la Grâce surtout (ô frayeur et merveille !)
Qu’assez, assez jamais on ne peut implorer,
Assez tâcher en soi d’aimer, de préparer,
Mais qui ne doit descendre au vase qu’on lui creuse
Que par un plein surcroît de bonté bienheureuse.
Et s’entr’ouvrant, après tout un jour nuageux,
Le couchant quelquefois éclairait de ses jeux
Le discours, et peignait l’espérance lointaine !
Et l’enfant se prenait à cette marche humaine
Ainsi sombre et voilée, et rude de péril,
Chemin creux sous des bois dans le torrent d’exil,
Mais qu’à l’extrémité de la voûte abaissée
Là-bas illuminait l’éternelle pensée.
Et ce terme meilleur et son jour attendri,
Et l’intervalle aussi, le torrent et son cri,
L’écho de Babylone au bois de la vallée,
Conviaient la jeune âme, à souhait désolée.
Sa tristesse en prière à temps se relevait.
Aux étoiles le soir, la nuit à son chevet,
Il disait avec pleurs le mal et le remède ;

  1. Ce monsieur Antoine ne devait pas être autre que M. Collard, dont on a les Lettres spirituelles et un traité sur l’Humilité ; il était grand-oncle de M. Royer-Collard.