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PENSÉES D’AOÛT.

Un peu plus qu’Amaury n’y penche en son ouvrage,
Je crois avec nos chefs en ce douteux instant,
Nos guides enchanteurs (un peu moins qu’eux pourtant),
À quelque vrai progrès dans l’alliance humaine,
Au peuple par degrés vivant mieux de sa peine,
Au foyer chez beaucoup, suffisant et frugal,
S’honorant, chaque jour, d’un accord plus égal,
À l’enfance de tous d’enseignement munie,
À plus de paix enfin, d’aisance et d’harmonie.
J’y crois, et, tout marchant, la flamme est à mon front ;
J’y crois, mais tant de maux au bien se mêleront,
Mais tant d’âpre intérêt, de passion rebelle,
Sous des contours plus doux, d’injustice éternelle,
Tant de poussière à flots, si prompte à s’élever,
Obscurciront l’Éden impossible à trouver,
Que je veux concevoir des âmes détachées,
Muet témoin, les suivre aux retraites cachées,
En être quelquefois, les comprendre toujours,
Embrasser leur exil ici-bas, leurs amours,
Plaintes, fuites, aveux, tout… jusqu’à leurs chimères.
L’essor va loin souvent, dans leurs pages légères.
Oh ! oui, qu’on laisse encore à nos rares loisirs
Ces choix d’objets aimés et de touchants plaisirs,
Quelque couvert d’ombrage où l’on se réfugie !
Pleurez tout bas pour nous, idéale Élégie !
Souvent à cette voix trop tendre en commençant,
La prière éveillée ajoute son accent.
Racine, enfant pieux, relisait Chariclée.
Clémentine ou Clarisse, à propos rappelée,
Nonchalants entretiens venus d’un air rêveur,
Des purs amours en nous ravivent la saveur.
Huet louait Zaïde, et tout m’embellit Clève ;
Et mon être à souhait s’attendrit ou s’élève,
Selon que plus avant en un monde chéri,