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PENSÉES D’AOÛT.

Pour être sûre enfin que rien ne l’embellisse,
Que rien ne s’y dérobe à l’invisible Époux ?
Du rameau sans feuillage aucun nid n’est jaloux.
Or, puisque c’est l’attrait dans la belle jeunesse
Que ce luxe ondoyant que le zéphyr caresse,
Et d’où vient jusqu’au sage un parfum de désir,
Je veux redire ici, d’un vers simple à plaisir,
Non pas le jeu piquant d’une boucle enlevée,
Mais sur un jeune front la grâce préservée.

 « J’étais, me dit un jour un ami voyageur,
D’un souvenir lointain ressaisissant la fleur,
J’étais en Portugal, et la guerre civile,
Tout d’un coup s’embrasant, nous cerna dans la ville :
C’est le lot trop fréquent de ces climats si beaux ;
On y rachète Éden par les humains fléaux.
Le blocus nous tenait, mais sans trop se poursuivre ;
Dans ce mal d’habitude on se remit à vivre ;
La nature est ainsi : jusque sous les boulets,
Pour peu que cela dure, on rouvre ses volets ;
On cause, on s’évertue, et l’oubli vient en aide ;
Le marchand à faux poids vend, et le plaideur plaide ;
La coquette sourit. Chez le barbier du coin,
Un Français, un Gascon (la graine en va très-loin),
Moi j’aimais à m’asseoir, guettant chaque figure :
Molière ainsi souvent observa la nature.
Un matin, le barbier me dit d’un air joyeux :
« Monsieur, la bonne affaire ! (et sur les beaux cheveux
D’une enfant là présente et sur sa brune tête
Il étendait la main en façon de conquête),
Pour dix francs tout cela ! la mère me les vend. »
— « Quoi ! dis-je en portugais, la pitié m’émouvant,
Quoi ! dis-je à cette mère empressée à conclure,
Vous venez vendre ainsi la plus belle parure