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POÉSIES

VŒU


Pour trois ans seulement, oh ! que je puisse avoir
Sur ma table un lait pur, dans mon lit un œil noir,
Tout le jour du loisir ; rêver avec des larmes,
Vers midi, me coucher à l’ombre des grands charmes ;
Voir la vigne courir sur mon toit ardoisé,
Et mon vallon riant sous le coteau boisé ;
Chaque soir m’endormir en ma douce folie,
Comme l’heureux ruisseau qui dans mon pré s’oublie ;
Ne rien vouloir de plus, ne pas me souvenir.
Vivre à me sentir vivre !… Et la mort peut venir[1].


PROMENADE


….. Sylvas inter reptare salubres.
Horace.
Reptare per limitem.
Pline le Jeune.


S’il m’arrive un matin et par un beau soleil
De me sentir léger et dispos au réveil,
Et si, pour mieux jouir des champs et de moi-même,
De bonne heure je sors par le sentier que j’aime,
Rasant le petit mur jusqu’au coin hasardeux,
Sans qu’un fâcheux m’ait dit : « Mon cher, allons tous deux ; »

  1. Mihi sex menses satis sunt vitæ : septimum Orco spondeo.
    « Que j’aie six mois de bons, je donne à Pluton le septième. » C’est un vers de Cécilius, et qui est, dit-on, traduit de Ménandre. Cicéron l’a cité au livre II, 7, du traité De finibus. Joseph Delorme, quand il soupira son Vœu, ne savait rien de tout cela.