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LIVRE PREMIER

relevait la nuit secrètement et s’en allait prier dans un grenier, de peur que la dame de Jumeauville, qui couchait dans sa chambre, ne la trouvât debout. On la surprit se cautérisant, de nuit, les bras nus avec de la cire brûlante. Je passe d’autres détails trop peu gracieux. — «Que voulez-vous ?» disait-elle plus tard comme en riant lorsqu’on la mettait sur ce chapitre, «tout était bon dans ce temps-là !»

Cependant le Père Bernard, chaque fois qu’il essayait de brusquer la Communauté, y renouvelait l’obstacle. Les religieuses, qui s’opposaient (bien que respectueusement toujours) à une réforme, étaient précisément celles, on le conçoit, qui avaient été le plus régulières jusque-là et le plus modestes ; elles croyaient n’avoir rien à réformer. Le Père Bernard, dans l’ardeur indiscrète de ses règlements, voulut les aller porter, comme de la part de l’abbesse, à l’abbé de Morimond, grand vicaire de M. de Cîteaux, pour les faire autoriser ; en vain l’abbesse lui représenta que l’abbé de Morimond avertirait son père ; ce qui ne manqua pas d’arriver.[1]

M. Arnauld, averti presque en même temps par

  1. Cet abbé de Morimond, comme l’abbé de Cîteaux, était dans les bonnes coutumes de l’Ordre, et eût permis aux maisons de son obédience plutôt le relâchement que l’austérité. On lit dans une Relation : «En 1594 ou 1595, les religieuses que l’on appelait les Dames de Saint-Antoine, dont était abbesse Mme de Thou (soeur du premier président et tante de l’historien), très honnête fille, jouèrent une tragédie de Garnier appelée Cléopâtre, où les filles étaient vêtues en hommes, pour représenter les personnages ; et les spectateurs étaient l’abbé de Cîteaux, nommé La Croix, et les quatre principaux abbés, de Clairvaux, de Morimond, de Pontigny et de La Ferté.» (Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal; Utrecht, 1742; t. II, p. 274.) — Cela n’a pas empêché cet abbé de Morimond, le Révérend Claude Masson, d’être appelé dans son Épitaphe le Réformateur général des monastères de la Forêt-Noire, de l’Auvergne, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Suisse, etc.