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LIVRE PREMIER

tant en sa nature qu’en ses effets, pour mériter d’être étudié de près dans ses circonstances avérées, dans ses exemples les plus incontestables. À ceux-là donc, à ceux qui ne voudraient voir qu’en observateurs philosophes et rationalistes les hauteurs et les extrémités de l’âme humaine, je ne craindrai pas de dire que, comme ils n’ont rien de plus divin à nous offrir et qu’ils ne trouvent rien apparemment d’étranger à eux dans ce qui est humain, cette étude que je fais à travers les minutieux détails d’une réalité, toujours pauvre par quelque endroit, n’a rien qui doive sembler puéril et petit, ou trop bizarre. Car, encore un coup, c’est au prix de ces particularités, par moi décrites, que l’âme humaine arrive (les philosophes eux-mêmes ne le nieront pas) à un certain état fixe et invincible, à un état vraiment héroïque, d’où elle exécute ensuite ses plus grandes choses. Il n’est pas de petit chemin qui mène là. Le procédé de l’esprit en pareil cas, ne serait-ce qu’à titre de procédé, vaut d’être connu. Voilà pour les uns ; mais aux autres, à vous qui croyez, qui attachez au mot de Grâce un sens lumineux et divin, à vous tous Chrétiens d’esprit et de foi dans les différentes nuances, je dirai :

Ne vous étonnez pas trop, je vous en prie, de ces détails qui peuvent offenser nos moeurs et vos propres habitudes plus dégagées des pratiques sensibles ; ne vous en scandalisez pas, et n’allez pas croire que, bien qu’il y ait eu quelque excès sans doute, l’ensemble de tous ces soins et de tous ces scrupules n’était pas nécessaire à l’oeuvre, incontestablement utile et grande, qu’on va voir sortir. Ces petits, ces humbles, et, comme on est tenté de les appeler par moments, ces misérables moyens, émanaient d’un grand et saint esprit et tendaient à une haute fin. À la place précise où se trouvait cette jeune abbesse, dans un couvent spirituellement si délabré, au commencement du dix-septième siècle,