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LIVRE PREMIER

faudrait être en son Paradis pour la figurer et la peindre : comme à l’entrée des neuf sphères, il y faudrait manier avec lui ces magnificences assemblées d’escarboucles vivantes, de parvis enflammés, de joyaux qui chantent, et faire toucher déjà cette céleste atmosphère en laquelle le reçut, comme au plus fluide des nuages, l’indivisible diamant éternel :

Per entro se l’eterna margherita
Ne ricevette, com’acqua ricepe
Raggio di luce permanendo unita.

L’âme, ici-bas et au sein de son ombre, jouit de cette vraie vie, tant qu’elle demeure prise selon le mode mystérieux. On ne défait pas cet état à demi, il rompt ou il dure. Dans les commencements, il peut s’essayer, puis se disjoindre ou se fondre, pour se reformer bientôt à un second ou à un troisième coup décisif.

Dans le cas particulier que nous avons sous les yeux, je relève les points suivants, qu’on retrouvera à peu près les mêmes dans tous les autres exemples : et je n’apporte à ce relevé aucune vue de classement supérieur ; je me borne à la simple observation empirique.

1° Cette influence de l’amour divin, du plus élevé des amours, et véritablement de l’unique, vient sans dire comment, sans qu’on sache pourquoi, sans qu’il y ait, ce semble, cause suffisante pour l’invasion. On peut dire de la Grâce, comme de la mort, qu’elle vient comme un voleur. — Ce Père Basile, qui ne prêcha pas mal, n’était pas une cause suffisante et proportionnée à l’émotion qu’éprouva, tandis qu’il parlait, la jeune Angélique.

2° Tout ce qui devrait nuire à la production de la Grâce selon les règles de la prudence, de la probabilité humaine, y tourne et y concourt : l’obstacle y devient instrument. Ce Père Basile, mauvais moine, en est le