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PORT-ROYAL

taire, quels que soient le lieu et l’occasion du Tolle, lege, on peut reconnaître que, chez tous ceux qui en ont offert de grands et vrais exemples, l’état de Grâce est un au fond, un par l’esprit et par les fruits. Percez un peu la diversité des circonstances dans les descriptions, il ressort que, chez les Chrétiens des différents âges, c’est d’un seul et même état qu’il s’agit : il y a là un véritable esprit, fondamental et identique, de piété et de charité, entre ceux qui ont la Grâce, même quand ils se sont crus séparés. Dans cet état, on peut se croire séparés, sans l’être ; mais on ne pourrait penser trop opiniâtrement et fréquemment à cette séparation, sous forme de contention et de dispute, sans rompre l’état intérieur, qui est, avant tout, d’amour et d’humilité, de confiance infinie en Dieu, et de sévérité pour soi accompagnée de tendresse pour autrui. En s’en tenant donc à l’oeuvre directe et positive, aux fruits propres à cette condition de l’âme, on les retrouve de même saveur chez tous, sous des soleils distants et en des clôtures diverses, chez sainte Thérèse d’Avila, comme chez tel frère morave de Herrnhout. Nous aurons, sur les confins de notre sujet, les fruits de M. Guillebert dans la cure de Rouville en Normandie, ceux de M. Pavillon dans son diocèse d’Aleth, de M. Collard dans le village de Sompuis, et nous les sentirons n’être pas d’une autre qualité ni d’une autre saveur que ceux de Félix Neff à Dormillouse, d’Oberlin au Ban-de-la-Roche, de Jean Newton à Olney. Cette saveur des fruits sur les branches diverses, c’est celle du même tronc commun évangélique.

Mais les mois se passent, les vacances du Parlement approchent, et la crise au monastère devient imminente. La mère Angélique sut ou prévit que M. Arnauld allait arriver. Elle écrivit, les uns disent à sa mère, les autres à sa sœur, madame Le Maître, pour que madame Arnauld