Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
LIVRE PREMIER

Corneille, pétulant, emporté, généreux, glorieux pour sa famille, un vrai Rodrigue pour son père :

Je reconnais mon sang à ce noble courroux !

La mère Agnès, qui aurait voulu être Madame de France, avec son caractère dévot et subtil, austère et tendre, mystique et pompeux, serait assez naturellement devenue un des intéressants personnages de Corneille, une amante comme il les conçoit. Si la rectitude et la discipline de Port-Royal ne s’en étaient mêlées, elle aurait aisément cédé à ce genre de dévotion, et peut-être de galanterie, de la reine-mère Anne d’Autriche, à cette religion extérieure du Val-de-Grâce, dont madame de Motteville nous parle si bien. Elle aurait dit aussi par moments comme Mademoiselle, à propos d’une cérémonie fastueuse où elle reçoit hommage : J’aime l'honneur ! En un mot, il y avait au sein de Port-Royal toute une lignée de caractères, de naturels et de génies qui étaient bien les contemporains proches parents, un peu les aînés de Corneille.

La Harpe, dans son Cours de Littérature, selon l’habitude médiocrement historique de la critique de son temps, s’attache à représenter surtout le génie créateur de Corneille comme indépendant des circonstances : «Ce ne sont pas, disait-il, les troubles de la Fronde qui ont fait faire à Corneille le Cid et les Horaces.» Il reconnaît toutefois une influence générale du siècle. Pour compléter son jugement, exact dans les termes, mais insuffisant, et pour déterminer cette influence d’alentour, on a rappelé[1] que, né sous Henri IV, Corneille avait pu converser avec les derniers témoins et les acteurs des luttes civiles, avec les restes de cette génération guerrière

  1. Fontanes, Mercure, ventôse an IX. Voltaire avait déjà, en deux ou trois mots, fort bien touché ce point dans son Commentaire.