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PORT-ROYAL

appliquant dans toute son ouverture, en avait dès l’abord atteint et exprimé la profonde science.

Il ne serait pas malaisé, à mon sens, de soutenir cette thèse : Corneille est de Port-Royal par Polyeucte.

Tout le monde connaît, a su et sait par cœur Polyeucte, et je n’ai pas à l’analyser ici ; je ne veux que faire à son sujet quelques remarques toutes particulières, mais qui, si particulières qu’elles soient et à cause de cela même, aideront à pénétrer avant, par une voie assez neuve et détournée, dans les ressorts et l’intérieur de cette grande pièce.

Les détails de la scène qui s’est passée entre la mère Angélique et sa famille, dans cette Journée du Guichet qui m’a naturellement provoqué à l’examen de Polyeucte, n’ont pas fui, j’espère ; et il est besoin ici que du moins leur singularité même, en attendant mieux, les tienne vivants et présents.

C’est qu’il n’est aucune, presque aucune des objections spécieuses que la raison, le bon sens ordinaire et facile peut adresser à la mère Angélique sur cette journée, qui ne se puisse renvoyer avec autant de force à Polyeucte en personne, et qui ne lui ait été adressée en effet par les critiques et par les mondains du temps. Polyeucte, nonobstant ou, pour mieux parler, moyennant cette infraction à l’exacte raison, n’a été que plus beau et plus grand, comme dans notre sujet notre jeune abbesse, en vertu du même procédé, n’a été que plus sainte.

Polyeucte, à l’ouverture de la pièce, n’est pas chrétien encore ; il veut l’être, mais il ajourne ; Néarque, chrétien depuis plus longtemps, le gourmande et l’entraîne. Mais une fois chrétien et baptisé, une fois investi au dedans de cette Grâce victorieuse, Polyeucte prend sa revanche du retard et devance tout : le dernier entré sera le premier ; c’est lui, à son tour, qui entraîne