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PORT-ROYAL

réussir en partie le désir que j’ai eu toute ma vie de procurer le salut de l’âme de mes enfants, ayant attiré par la puissance de sa Grâce, sans que j’y aie apporté aucune suggestion, six de mes filles à son service dans la sainte Religion, et d’avoir daigné à la fin étendre cette même Grâce sur mon âme pour la rendre participante de ces admirables qualités de la Sainte Vierge qui était Fille et Mère de son Fils, en me rendant fille et mère d’une personne que j’ai portée dans mes flancs…» Le 4 février 1629, elle fit donc profession entre les mains de sa fille, et prononça ses vœux avec une voix aussi forte et intelligible que si elle n’avait eu que quinze ans, quoiqu’elle en eût cinquante-six. Peu après sa profession, elle devint fort infirme ; s’étant soumise à l’obligation de lire chaque jour le grand Office, elle s’y usa la vue et fut affligée par une cécité presque entière. On admirait sa tranquillité d’esprit, sa simplicité en tout, son humilité singulière dans la façon dont elle se conduisait avec ses filles religieuses. Elle appelait toujours la mère Angélique ma Mère ainsi que la mère Agnès, parce qu’elles étaient ou avaient été abbesses ; elle se mettait à genoux, comme les autres religieuses, devant celle des deux qui était abbesse dans le moment. Pour ses autres filles, elle les appelait ses sœurs, et les faisait toujours passer devant elle, à cause qu’elles étaient ses anciennes dans la Religion[1]. À l’heure de sa mort, elle répondit à toutes, à chacune d’elles qui venait à son tour lui demander une parole suprême et lui dire à genoux : «Ma mère, dites-moi une parole que je garderai toute ma vie et que je puisse faire ;» elle leur répondait par des paroles de Dieu, par des mots appropriés et de justes parcelles de l’Écriture qu’elle distribuait

  1. Madame Le Maître, l’aînée des six filles et la seule qui ait été mariée, fut aussi la seule qui ne prit le voile qu’après sa mère.