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LIVRE PREMIER

tard, quand Polyeucte, par une revanche de générosité surhumaine y lui veut rendre Pauline qu’il va faire veuve par sa mort, Sévère qui a repris espérance un moment, tout d’un coup renversé et précipité de son bonheur par la résolution de Pauline, Sévère reste bon, juste, clément ; il voudrait sauver, il essayera de défendre le rival chrétien qu’on lui préfère, et, dans son entretien avec Fabien, il juge cette naissante religion dans un sentiment qui est de sympathie et d’impartialité :

Je te dirai bien plus, mais avec confidence :
La secte des Chrétiens n’est pas ce que l’on pense ;
On les hait, la raison je ne la connais point,
Et je ne vois Décie injuste qu’en ce point.
Par curiosité j’ai voulu les connaître…

Par curiosité ! et, à ce qu’il dit ensuite, on voit que Sévère, comme cet empereur son homonyme[1] mettrait volontiers au rang de ses Dieux ou de ses sages divins le fondateur du Christianisme. Il fait l’éloge de la morale qui sort de l’Évangile, et laisse pourtant échapper ces quatre vers :

Peut-être qu’après tout ces croyances publiques
Ne sont qu’inventions de sages politiques
Pour contenir un peuple, ou bien pour l’émouvoir,
Et dessus sa faiblesse affermir leur pouvoir.

Ces quatre vers out pu décider du faible qu’a eu le dix-huitième siècle pour le rôle de Sévère.

En avançant vers le dénouement, la figure de Sévère reçoit une teinte continuelle et croissante de beauté. La mort de Polyeucte, la conversion de Pauline, celle de Félix lui-même, le touchent, l’ébranlent sans toutefois

  1. Alexandre Sévère.