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PORT-ROYAL

mais pour n’y prendre que la politesse, à une femme en qui, de même, la raison tenait le dé parmi tant de qualités prodigues et charmantes, d’un cœur haut et chaste, sérieuse au fond de son enjouement, à cette madame de Sévigné qui lisait des in-folio de saint Augustin en douze jours, et n’en avait pas pour cela les yeux moins brillants, les paupières moins bigarrées. Combien Pauline devait être comprise d’elle, et lui plaire, et à madame de La Fayette aussi, à cet autre cœur également raisonnable et dévoué, lorsque toutes deux elles retrouvaient dans l’héroïne, sous cet air romain et romanesque qu’elles aimaient, et qui était le costume idéal du temps, des qualités essentielles, fermes, vives, délicates et justes, ce que j’ose appeler, dans le sens le plus avantageux, des qualités françaises ! Madame de La Fayette, madame de Sévigné, et leurs pareilles, s’il s’en trouvait alors, voilà l’excellent public, l’enthousiaste et jeune cortège de Pauline, alors qu’elle parut[1] ou du moins qu’elle régna dans sa neuve beauté. — À une grande distance de là, et plus près de nous, il est un caractère bien noble, très-romain, un peu roide en ce sens, si l’on veut, mais sincèrement magnanime, un caractère de femme française, qui rappelle Pauline par plusieurs des plus beaux endroits, — madame Roland allant à l’échafaud. Le rapport, pour peu que l’on y pense, est frappant : même raison dominante sur la passion, un amour aussi pour un autre que pour l’époux, un amour également étouffé, sans fol éclair, et qui n’ôte rien ni à la vertu de l’âme ni à la fierté de l’attitude ; l’enthousiasme enfin, mâle et sûr, et qui pousse sereinement au martyre. Ce compagnon de sup-

  1. Madame de Sévigné n’avait que treize ans quand Polyeucte parut, et madame de La Fayette un peu moins : ce leur dut être, en grandissant, leur idéal de première jeunesse.