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PORT-ROYAL

Voici deux strophes encore qui ont bien la légèreté (ce qui est rare chez Corneille) et la sainte allégresse du chant :

O Dieu de Vérité, pour qui seul je soupire,
Unis-moi donc à toi par de forts et doux nœuds.
Je me lasse d’ouïr, je me lasse de lire,
Mais non pas de te dire :
C’est toi seul que je veux !

Parle seul à mon cœur, et qu’aucune prudence,
Qu’aucun autre docteur ne m’explique tes lois ;
Que toute créature, à ta sainte présence,
S’impose le silence,
Et laisse agir ta voix !

[1]La véritable et directe continuation de Polyeucte au

  1. Livre I, chap. II. — On pourrait multiplier les citations et détacher de l’ennui et du fatras de l’ensemble quelques belles parts, surtout de poésie morale, où la touche aisée et large du poète reparaît : ainsi, liv. II, chap. IV, strophe 3 ; ainsi, liv. II, chap. IX, strophe 2. Isolément, les grands et magnifiques vers abondent :

    Elle plus sûr chemin pour aller jusqu’aux Cieux,
    C’est d’affermir nos pas sur le mépris du monde…
    Et tout ce qu’un grand nom avait semé de bruit…
    Dieu ne s’abaisse pas vers des âmes si hautes…
    Et l’on doute d’un cœur jusqu’à ce qu’il combatte…
    N’ayant (les Saints) le cœur qu’en Dieu, ni l’œil que sur eux-mêmes…
    Comme ils fuyaient la gloire et cherchaient les supplices,
    Les supplices enfin les ont glorifiés.

    Malgré ces exceptions, il est vrai de dire avec Fontenelle que ce qui manque à cette Imitation traduite et qui se trouve être au contraire le plus grand charme de l’original, c’est la simplicité et la naïveté, un certain air naturel et tendre qui se prête mal à ce vers en plein frappé et comme fait toujours pour être applaudi. La gêne y tourne vite en prosaïsme, et durant des pages on n’en sort pas. Corneille a donné encore en vers français l'Office de la Vierge suivi des sept Psaumes et des Hymnes de l’Eglise, les Louanges de la Vierge traduites des rimes latines attribuées à saint Bonaventure : par ces divers ouvrages de poésie sacrée, il ne se place guère au-dessus de M. Godeau et de M. d’Andilly, entre lesquels les bons vieux ouvrages de rhétorique et de critique surannée ne manquent jamais de le ranger dans un même éloge.