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LIVRE PREMIER.

gulier et accompli que nous ne perdrons aucune occasion de démêler et de faire sentir comme nous l’entendons. Il est, selon l’expression de Boileau et dans le sens le plus flatteur et le plus sérieux, un bel-esprit, — oui, mais un bel-esprit du cœur le plus tendre, entouré de tout le goût, de tout le sens et des plus justes lumières. Nous suivrons peu à peu cette vue-là.

Donc, en ce second ordre de poètes dramatiques où le grand Corneille est au premier rang, le bon Rotrou ne vient lui-même qu’au second ; mais il vient tout derrière et par moments presque coude à coude avec Corneille. Il n’en parut jamais plus près que le soir de cette tragédie : Saint Genest comédien païen représentant le mystère d’Adrien.

Un des plus doctes et des plus doux solitaires de Port-Royal, M. de Tillemont, a parlé du martyre de saint Genest. Au tome IV de ses Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, il raconte cette histoire comme aussi édifiante qu’agréable, dit-il, et très-propre à nous faire admirer la bonté de Dieu et la force toute puissante qu’il a sur nos cœurs. Il tire son récit, ajoute-t-il, d’une pièce que sa simplicité rend aimable et fait juger tout à fait fidèle. Quoiqu’en effet la courte relation du manuscrit où il puise soit incomparable, aux endroits décisifs l’inspiration de Rotrou n’est pas indigne de se rapprocher d’une source si pure.

On n’y atteint pas sans des abords coûteux et un attirail de ressorts par lesquels il nous faut passer. La première scène est entre Valérie, fille de l’empereur Dioclétien, et sa confidente ; il s’agit d’un songe comme au début de Polyeucte ; Valérie a rêvé, comme Pauline, quelque chose de funeste : elle a rêvé qu’un berger prétendrait à l’honneur de son lit et serait son époux. De quel berger s’agit-il ? Elle l’ignore. Mais elle se rappelle les volontés capricieuses de Dioclétien, son père ; qu’il