Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LIVRE PREMIER.

aussi à la touche du vieux Régnier, répond singulièrement d’avance aux prédilections scéniques de M. Hugo. Il est beau, dit Genest en parlant du théâtre,

Il est beau : mais encore, avec peu de dépense,
Vous pouviez ajouter à sa magnificence,
N’y laisser rien d’aveugle, y mettre plus de jour,
Donner plus de hauteur aux travaux d’alentour,
En marbrer les dehors, en jasper les colonnes,
Enrichir leurs tympans, leurs cimes, leurs couronnes,
...........
Et surtout en la toile où vous peignez vos Cieux
Faire un jour naturel au jugement des yeux ;
Au lieu que la couleur m’en semble un peu meurtrie.

Survient la comédienne Marcelle, tout impatientée, dit-elle, des galants qui l’assiègent et l'étourdissent : sa loge en est remplie. Genest lui répond assez railleusement et paraît croire très peu à cette impatience, à ce dégoût de sa camarade pour les galants. Nous sommes dans les coulisses du temps de Corneille et de tous les temps ; nous retrouvons un coin de scène du Roman comique. Tout ce détail d’à-propos devait rendre fort agréable à son moment la pièce de Rotrou.

Genest resté seul repasse et récite haut son rôle, le rôle d’Adrien devenu chrétien :

Il serait, Adrien, honteux d’être vaincu ;
Si ton Dieu veut ta mort, c’est déjà trop vécu ;
J’ai vu. Ciel, tu le sais par le nombre des âmes
Que j’osai t’envoyer par des chemins de flammes,
Dessus les grils ardents et dedans les taureaux
Chanter les condamnés et trembler les bourreaux.

Pendant qu’il récite, il sent déjà un effet avant-coureur, une influence par laquelle il lui semble qu’il feint moins Adrien qu’il ne le devient : il veut pourtant rentrer dans son rôle :

Il s’agit d’imiter et non de devenir ;