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LIVRE PREMIER.

Ni la Cour ni le trône avecque tous leurs charmes,
Ni Natalie enfin avec toutes ses larmes,
Ni l’univers rentrant dans son premier chaos,
Ne divertiraient pas un si ferme propos.

L’acte de la pièce d’Adrien finit, et en même temps celui de la pièce principale : Dioclétien se lève en disant :

En cet acte Genest, à mon gré, se surpasse,

et chacun va le féliciter.

Le troisième acte de la tragédie et le second de la pièce d’Adrien commencent : Maximin, le véritable Maximin, en s’asseyant, remarque l'acteur qui entre et qui le représente :

 Mais l’acteur qui parait est celui qui me joue
.........
Voyons de quelle grâce il saura m’imiter.

L’acteur n’a pas besoin d’y mettre beaucoup de grâce, car ce Maximin n’en a guère. S’il a été berger, comme on le répète sans cesse, ç’a été un berger un peu loup, un pâtre un peu brigand : il y paraît bien à sa férocité d’empereur. Mais il n’était pas moins piquant et d’une confrontation réjouissante de voir l'acteur regardé par l'original, et les deux Sosies en présence. Adrien, qu’on amène tout chargé de fers devant le Maximin de la pièce, reproduit sur le Dieu des Chrétiens ces belles définitions de Polyeucte :

 Le Dieu de Polyeucte et celui de Néarque
De la terre et du Ciel est l’absolu monarque…
Je n’adore qu’un Dieu, maître de l’univers…

    et qu’au moment où il s’y abandonne trop sincèrement, il s’y perd, et qu’il en sort ; qu’il brise le cadre, que la pièce manque et qu’il y a catastrophe. Donc l’acteur doit, jusqu’à un certain point, et sans en avoir l’air, se dominer, rester double et ne paraître qu’un.