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LIVRE PREMIER.

en prison pour dettes, quand Venceslas le tira d’affaire. Il réalise l’idée vulgaire qu’on se fait du poète, ardent, impétueux, endetté, inégal en conduite et en fortune. Les poètes anglais Dryden, Otway, étaient ainsi. La dignité des Lettres chez nous commença plus tôt, après le moment de Rotrou toutefois. À plusieurs traits énergiques, rudes et négligés, tant du talent que du caractère, il me fait encore l’effet d’un exact contemporain de Mézeray, — d’un Mézeray de la poésie. Cette vie de Rotrou, si en rapport avec son talent, reçut un dernier trait de ressemblance par l’acte héroïque qui la couronna. On sait qu’après s’être rangé probablement et s’être marié, tenant à Dreux, sa ville natale, une charge civile et de judicature, il se voua, durant une peste, au service de ses concitoyens privés de leurs autres magistrats, et qu’il mourut à la peine : trépas de sacrifice, digne des grands traits dont son œuvre dramatique est semée. On peut dire aussi de lui, au sens le plus sérieux, qu’il voulut

D’une feinte, en mourant, faire une vérité.

Il n’avait que quarante et un ans, l’âge même auquel était mort Régnier, son quasi-compatriote et son parent en plus d’un point. Mais pour Rotrou quelle fin plus noble, vraiment faite pour rendre jaloux au cœur les plus généreux dramatiques de cette famille et pour tenter un Schiller !

Saint Genest et Polyeucte sont les deux seules tragédies sacrées qui puissent passer, avec toutes les différences, pour des échantillons et des abrégés perfectionnés du genre des mystères. Esther et Athalie y en effet, qui sont encore des tragédies sacrées, et qui, comme telles, ont de certains rapports essentiels avec Polyeucte, n’ont plus rien gardé de l’ancien genre et ne le rappellent aucunement : c’est une forme toute neuve et moderne, accommodée au goût de la fin du dix-septième siècle, et