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PORT-ROYAL

à fournir une ruche de miel, et un amas de guêpes qui sont acharnées sur un corps mort, pour parler honnêtement !» On vient de voir le doux train d’avettes en bataille rangée contre les frelons.

Mais nous n’avons pas fini de ces scènes d’un autre siècle. Quelque temps après le violent assaut, le roi nomma comme abbesse titulaire madame de Soissons, fille naturelle du comte de Soissons et sœur naturelle de la première duchesse de Longueville[1]: la mère Angélique resta encore treize mois sous elle pour administrer, en attendant que l’abbesse eût reçu ses bulles. Quelque mésintelligence s’éleva pourtant dans cette autorité partagée, et elle désira se retirer à Port-Royal. Une des plaintes qu’on élevait contre elle était d’avoir rempli la maison de filles pauvres et sans dot : «Je répondis à cette plainte, nous dit-elle, que si on tenoit une maison de trente mille livres de rente trop chargée par trente filles, je n’estimerois pas la nôtre (Port-Royal), qui n’en avoit que six mille, incommodée de les rece-

  1. Nommer une personne de cette qualité, c’était couper court aux manèges de madame d’Estrées. Celle-ci en effet n’avait pas cessé sa menace, même après son second enlèvement. Son digne frère le maréchal avait tourné pour elle et postulait dans ses intérêts. Les gentilshommes des environs, le comte de Sanzé et autres, reparaissaient quelquefois autour du couvent et venaient tirer jusque sous les fenêtres : cinquante archers y durent tenir garnison durant six mois ; mais la mère Angélique ne les voulut pas garder plus longtemps. On voit pourtant, dans une lettre d’elle à son frère M. d’Andilly, qu’un an après l’assaut (septembre 1620), elle n’était pas encore sans de justes appréhensions : elle n’osait aller passer trois semaines au Lys, à moins qu’on n’écrivît au procureur général M. Mole de pourvoir, durant son absence, à la sûreté de l’abbaye. La nomination d’une abbesse dérobée au sang de Bourbon y pourvoyait. Finalement, madame d’Estrées, maintes fois encore échappée et ressaisie, mais désormais impuissante aux violences, passa le reste de ses jours à plaider pour son abbaye, dont elle recevait une pension alimentaire qui s’en allait au procès ; elle mourut dans un faubourg de Paris, fort misérable.