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LIVRE PREMIER.

beaucoup plus de lumières qu’on ne pensoit pour la conduite et la discipline de l’Église. C’étoit un œil pur qui voyoit tous les maux et tous les désordres que le relâchement a causés dans les mœurs des ecclésiastiques et des moines ; mais il cachoit tout dans le silence et couvroit tout de la charité et de l’humilité. »

« Il gémissoit comme M. de Bérulle des désordres de la Cour de Rome, et me les marquoit en particulier. Puis il me disoit : « Ma fille, voilà des sujets de larmes ; car d’en parler au monde en l’état où il est, c’est causer du scandale inutilement. Ces malades aiment leurs maux et ne veulent point guérir. Les Conciles œcuméniques devroient réformer la tête et les membres, étant certainement parce dessus le Pape. Mais les Papes s’aigrissent lorsque l’Église ne plie pas toute sous eux, quoique, selon le vrai ordre de Dieu, elle soit au-dessus d’eux lorsque le Concile est universellement et canoniquement assemblé. Je sais cela comme les docteurs qui en parlent, mais la discrétion m’empêche d’en parler, parce que je ne vois pas de fruit à en espérer. Il faut pleurer, et prier en secret que Dieu mette la main où les hommes ne la sauroient mettre ; et nous devons nous humilier sous les puissances ecclésiastiques auxquelles il nous a soumis, et lui demander cependant qu’il les humilie et les convertisse par la toute puissance de son esprit, et qu’il réforme les abus qui se sont glissés dans la conduite des ministres de l’Église, et lui envoie de saints pasteurs animés du zèle de saint Charles, qui servent à la purifier par le feu de leur zèle et de leur science, et à la rendre sans tache et sans rides pour la discipline, comme elle l’est pour la foi et pour la doctrine. » Il se consoloit en me parlant, comme je sais qu’il faisoit aussi à madame de Chantal, avec qui il m’avoit unie aussi étroitement qu’on le peut être sans s’être jamais vues. »

« La mère Angélique ajouta : « M. le cardinal de Bérulle, ami intime de M. de Genève, voyoit et déploroit ces mêmes abus de la Cour de Rome, et en entretenoit M. de Saint-Cyran, qui me disoit qu’il voyoit une éminence da lumière et de discernement merveilleux en ce saint homme, et qu’ils se confirmoient ensemble dans le silence