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PORT-ROYAL.

pratique, dans la conduite et la parole, ils inclinent en entier du côté favori et se dirigent à leur étoile. Ils deviennent aisément tout spirituels et mystiques, une fois qu’ils sont dans les voies de l’amour divin ; et ils le deviennent d’une tout autre manière que ceux dont l’âme serait naturellement amère et chagrine, lesquels, nous le verrons, ont leur genre de mysticité aussi. En un mot, au sein du Christianisme, il y a lieu à la continuation et à la distinction des caractères et des complexions individuelles, même régénérées et transfigurées.

Saint François de Sales a une nature affectueuse, suave, amoureuse et expansive si prononcée, qu’indépendamment de toutes les grâces surnaturelles qui sont survenues, il ne se peut expliquer qu’ainsi.

À le prendre sur la doctrine, il a été moins un théologien qu’un praticien accompli, un diseur aimable et moral de cette science des âmes qu’une infusion première et l’observation de chaque jour lui avaient enseignée ; son imagination et son cœur jaillissent à tout moment dans ce qu’il dit, et l’intelligence, la division des idées, la dialectique qu’il y emploie, et ces déductions déliées qui supposent chez lui une grande finesse psychologique, aboutissent toujours vite en fleurs et s’enlacent en berceaux : on est avec lui vraiment dans les jardins de l’Épouse.

Que si pourtant on cherche à démêler les points essentiels et dogmatiques, comme il les pose en certaines questions, en celles-là mêmes que Port-Royal surtout agita, on trouve qu’il en diffère autant qu’il est possible au sein de la fraternité chrétienne. Sur l’article de l’Amour de Dieu par exemple, dans lequel il comprenait volontiers tout le Christianisme, il pense (jugeant peut-être un peu trop d’après lui-même) que l’homme a une inclination naturelle d’ai-