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PORT-ROYAL.

lui, écrit entre plusieurs distractions ; il s’en justifie par une comparaison, par une surcroissance encore :

«La Nature mesme qui est une si sage ouvrière, projettant la production des raisins, produit quant et quant, comme par une prudente inadvertance, tant de feuilles et de pampres, qu’il y a peu de vignes qui n’ayent besoin en leur saison d’estre effeuillées et esbourgeonnées.»

On peut dire que si, dans la littérature de la spiritualité, l’Imitation de Jésus-Christ est la perfection sobre et inimitable, le Racine du genre, — saint François de Sales, dans ses traités de l’Amour de Dieu et de l’Introduction à la Vie dévote, en est le Lamartine abondant, exubérant, immodéré, pourtant aimable et délicieux toujours.

Qu’on veuille me passer ces rapprochements fréquents que je fais des illustres du passé avec des vivants de notre connaissance ; ce ne sont pas, dans mon idée, de pures fantaisies. Pourquoi, par je ne sais quelle circonscription convenue, se rien retrancher de sa pensée ? Saint François de Sales, à l’état chrétien ferme et accompli, me représente en effet ce qu’eussent pu être, non pas seulement dans l’ordre du talent, mais dans toute la personne et toute la vie, des natures comme celles de Bernardin de Saint-Pierre et d’autres encore ; natures suaves et fines, âmes veloutées et savoureuses, de miel et de soie, au coloris fondant, au parler mélodieux, à l’intelligence vive, fidèle et transparente de l’univers. Mais le souffle du monde humain, l’insinuation de la littérature et de la poésie, ont fait tourner celles-ci différemment. On a laissé la vanité prendre, et l’on s’est aigri ; on a laissé courir la voile légère, et l’on s’est dissipé. Saint François de Sales a eu la meilleure part. Dès son enfance, nous dit son digne biographe, le Père de La Rivière, «il estoit incomparablement beau il