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PORT-ROYAL.

d’observation et de conduite. Ainsi, d’une part, il est bien vrai qu’il était de ces âmes, pour parler avec madame de Chantal, au centre et en la cime desquelles Dieu avait mis une lumière, une lampe immobile et vigilante de spirituelle spéculation : et il se retirait là dedans comme dans un sanctuaire à volonté. Lui-même il pouvait dire, pour exprimer cet état fixe, que la vraie manière de servir Dieu était de le suivre et de marcher après lui sur la fine pointe de l’âme[1] sans aucun autre besoin d’assurance ou de lumières que celles de la foi simple et nue. Il est vrai encore que cette lumière infuse et diffuse en lui émanait de lui au dehors par ce visage pacifique, doux et grave, toujours tranquille dans ses actions, et qui, en certains cas, est-il dit, semblait prendre une nouvelle splendeur, surtout en plein Office, quand il consacrait[2]. Tout cela reste vrai ; mais, d’autre part, il ne l’est pas moins qu’avec cette qualité essentiellement mystique s’en trouvait une autre compatible en lui, la finesse dans les relations pratiques. Ce Bienheureux, duquel incessamment il s’échappait comme par avance un rayon de glorification céleste, une trace odorante de suavité qui faisait qu’on se tournait à lui, était de plus, — aurait été, dans les choses de ce monde, dans les affaires où le spirituel se compliquait du temporel, un aussi habile homme et aussi expert qu’il aurait voulu. À force d’être adroit et avisé (comme a dit Camus) au maniement des armes spirituelles, d’être inépuisable de conseil et d’industrie dans toutes les sortes de tentations, il l’était ou l’eût été de même, et à plus forte raison.

  1. Le duc de Saint-Simon a dit de la duchesse de Bourgogne, dans sa légèreté, qu’elle marchait sur la pointe des fleurs. Saint François en sa comparaison songeait sans doute à saint Pierre n’osant marcher sur la crête des ilots.
  2. Voir dans sa Vie, par le Père de La Rivière, le chapitre LIVdu livre IV.