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PORT-ROYAL.

j’aime à le croire, des conseils détournés. Ne craignons pas de surprendre ainsi le cœur humain à nu et son incurable duplicité, même dans l’âme des plus saints. D’ailleurs il y a de quoi justifier : si la louange est publique, la réprimande a été directe, intérieure. Le courage n’a pas manqué.[1]

Cette conduite avec le duc de Savoie nous éclaircit l’antre avec Rome et y est plus qu’un acheminement. Ce qu’il a fait là envers son souverain politique, il l’a dû faire envers Rome à plus forte raison. Il en pensait mal ; il l’a dissimulé ; il en a dit bien. Comme Bérulle, comme Frédéric Borromée, comme Saint-Cyran (comme, au fait, il était impossible qu’un homme de lumière et de vertu ne le vît pas alors), il a connu la plaie, il l’a déplorée en confidence ; il a pu dire : Ma fille, voilà des sujets de larmes… ; qu’on relise de nouveau sa vraie pensée là-dessus. Mais au dehors, dans ses écrits, dans sa conduite, il s’est incliné ; il a célébré l’unité auguste de l’Église et les vertus absentes qu’il aurait voulu y voir renaître et briller[2]. L’unité lui paraissait si essentielle et si fondamentale, qu’il y a tout dirigé, qu’il y a fait

  1. Qu’on fasse une part essentielle encore, celle du patriotisme. Ce prince rusé, mais grand, était nécessaire pour retenir l’État démembré, pour relever la patrie en ruines, sur laquelle on surprend de nobles larmes dans les épanchements intimes du président Favre et de saint François, surtout dans les lettres datées de la Babylone de Thonon.
  2. C’est ainsi qu’on le trouve dans ses Controverses, Discours XIV, répondant aux objections des Protestants : « S’il est vray que Nostre-Seigneur est le chef de l’Église, n’a-t-on point de honte de dire que le corps d’un chef si sainct et vénérable soit adultère (ou peut-être adultéré), prophané, corrompu ? » et Discours I : « Douter de la sainctelé de l’Église, c’est une lourde erreur : l’Église de Nostre-Seigneur est saincte et le doit estre ; c’est un article de foy ; le Sauveur s’est donné pour elle, afin de la sanctifier : C’est un peuple sainct, dit sainct Pierre ; l’Espoux est sainct, et l’Espouse saincte,… »